(EN COURS)Au café en bas de chez moi
Écrit en écoutant Berlioz, oui je suis clichée
27/01/2025
Chapitre 1
Elle avait toujours adoré l’odeur de café brûlé. Les vapeurs de la machine à expresso venaient tapisser les étagères remplies de verres dépareillés.
Derrière le bar, Arnaud râlait. Il y avait toujours quelque chose qui le froissait. C’était un grand homme maigre, portant de minuscules lunettes et un costume impeccable. Ses cheveux gris lui donnaient un air beaucoup plus vieux, mais surtout très chic. Son air bougon donnait aussi au lieu une certaine chaleur, comme si votre père se plaignait en cuisine. Mathilde, la patronne à la voix forte et aux joues rebondies, jouait la maman dans cette maison. Elle et Arnaud passaient la journée à se brailler dessus. Toutefois, avec les clients, elle avait toujours un sourire radieux aux lèvres : « Bonjour, messieurs dames ! Qu’est-ce que je vous sers en cette belle journée ? ».
Il n’y avait pas de musique dans ce café, ce n’était pas un endroit branché qui attirait les touristes. C’était un petit café tout ce qu’il y a de plus ordinaire, mais tout aussi extraordinaire en son genre. Cette petite maison du bonheur lui rappelait son enfance. Elle prenait toujours un café crème en l’attendant. Elle lisait le même livre, le même chapitre en boucle. La jeune fille n’était pas très jolie : elle avait des petits yeux noirs, le teint tout gris et de longs cheveux bruns qui lui tombaient juste au-dessus des fesses. Elle ne portait que du noir, du gris ou du taupe. De quoi rendre dépressif le plus joyeux des personnages Disney.
Il arrivait toujours essoufflé, fracassant la porte contre le porte-manteau : « Désolé pour le retard, il y avait des bouchons dans le métro, et j’ai oublié mon sac au bureau, et les gens marchaient trop lentement… ». Elle fermait son livre et l’embrassait. Le jeune garçon était roux, tout bouclé et tout aussi pâle que sa copine. Il était tout en longueur ; un coup de vent et il se serait envolé. Les yeux un peu endormis, il avait toujours un peu un air qui s’excusait d’exister. Mais ils étaient très heureux tous les deux. Ils travaillaient beaucoup et se retrouvaient le soir dans ce même café, à la même heure, tous les jours, avant de rentrer ensemble chez eux.
Dans le coin du café, Gisèle lisait le journal. Elle fumait la pipe et avait des bigoudis violets dans les cheveux. Si on lui demandait, elle se préparait pour un bal qui avait lieu le soir et s’y faisait accompagner par Clint Eastwood. D’une façon presque cliché, dormait à ses pieds un petit chien blanc et moche qui s’appelait Pipoune. Un bruit courait qu’elle avait été en réalité une baronne de la drogue venue se cacher à Paris, fuyant le gouvernement italien depuis des décennies. Mais quand il était l’heure de fermer le café, Mathilde s’approchait d’elle avec beaucoup de tendresse, l’aidait à se lever et allait la coucher dans sa chambre à l’étage.
Chapitre 2-Arnaud
Arnaud était un homme sur qui on pouvait compter. Il aimait les rituels, les choses ponctuelles et la revue Nature et Chasse. Il se levait toujours à 6h15 précises, se brossait les dents une première fois pour l’haleine du matin, prenait son petit-déjeuner, et se brossait les dents une seconde fois. Il mettait en fond RTL2, sur quoi il râlait toute la matinée : « Quel monde pourri ! ». Arnaud vivait seul. Aucune femme n’avait su devenir une partie de son rituel.
Arnaud prenait la 8, puis la 6 jusqu’à Passy, avant de revenir une station plus tôt. Il aimait voir la Tour Eiffel le matin.
En arrivant au café, il allumait la lumière du bar et préparait deux cafés : un allongé très sucré pour Gisèle et un double expresso pour Mathilde. Il pouvait enfin commencer à polir les verres. C’était son activité préférée, ça le détendait. Mais un passe-temps détrônait tout le reste.
Il adorait regarder les gens. Essayer de découvrir qui ils étaient, écouter discrètement leurs conversations, comme une mouche sur le mur. « You are part of this place, Arnaud, like a moving statue glued to this counter », lui disait un Anglais au bar. Il ne l’aimait pas, il parlait trop fort, ça le sortait de ses habitudes. Les rares touristes qui passaient dans le café aimaient beaucoup voir Arnaud polir les verres : « So French! ». Le seul détail était qu’Arnaud avait renié l’anglais toute sa scolarité et ne comprenait pas un mot de la langue.
À 11h, il se disputait souvent pour la première fois avec Mathilde : le début du service du midi. Lui qui n’aimait pas les gens qui crient fort, avait un coffre tellement puissant que l’on entendait ces deux-là se chamailler jusqu’en bas de la rue. Souvent pour des choses sans aucune importance, d’ailleurs..
Chapitre 3-Sibylle
Mathilde soupirait en sortant les couverts, tandis que Sibylle pénétrait dans le café avec sa bonne humeur habituelle. Sibylle était le rayon de soleil de la matinée, toujours souriante, un mot gentil pour chacun. C’était la nièce d’Arnaud: elle travaillait au café en échange de la petite chambre de bonne au-dessus du café.
Malgré son apparence juvénile, personne n’osait lui marcher sur les pieds. Au premier manque de respect, elle se métamorphosait en une bête sauvage au crocs ascet